Sommaire
Décommercialisation des centres-villes : les parlementaires passent à l’offensive française ?
Le commerce de centre-ville est-il en train de connaître une lente agonie à l’instar de ce que l’industrie française a subi avec la désindustrialisation ? La question se pose effectivement avec acuité à mesure que le terme de « décommercialisation » est de plus en plus évoqué dans les débats. Les parlementaires sont globalement mobilisés pour enrayer ce déclin et ne pas le considérer comme inexorable mais au contraire réversible pour revitaliser les cœurs de ville.

Un chiffre tout d’abord fait froid dans le dos. Codata, une société spécialisée dans la collecte de données immobilières commerciales, a dévoilé en juillet dernier un indicateur préoccupant : en 20 ans, la part des commerces inoccupés en centre- ville a tout simplement doublé dans les 390 communes de plus de 15 000 habitants passées au crible par l’étude. D’un taux de vacance de 5,94 % en 2004, on est passé maintenant à 10,85 % en 2024.
Le phénomène est multifactoriel d’où la complexité à résoudre l’équation pour endiguer cette désertification rampante des centres-villes. Le premier facteur tient dans l’étalement urbain qui n’a cessé de croître durant ces dernières années et où se sont implantées des zones commerciales périphériques sans discontinuer en dépit de certains textes régulateurs plus stricts. En 2020, Procos, la fédération professionnelle du commerce spécialisé relevait que les 1 500 zones de ce genre recensées en France, représentaient 75 % des dépenses en magasin des Français.
À cela s’est ajoutée l’explosion du commerce électronique. La crise sanitaire du Covid-19 et les confinements ont nettement stimulé la consommation en ligne au détriment des boutiques physiques situées dans les artères du centre-ville. Ce renversement de paradigme a coïncidé en parallèle avec les transformations urbaines opérées par de nombreuses mairies avec par exemple, l’augmentation des rues piétonnes, le déploiement de tramways et de bus, la raréfaction des places de stationnement (voire des parkings) et le renchérissement des tarifs horaires sans parler de la congestion du trafic routier aux heures de pointe qui n’est plus seulement spécifique aux très grandes villes comme Paris, Lyon ou Marseille. Pour les péri- urbains et les ruraux, le centre-ville est ainsi devenu de moins en moins accessible.
Enfin, le coup de grâce pour les commerces de proximité provient de l’augmentation constante des baux commerciaux. De la base 100 en 2008, l’indice de l’Insee est dorénavant rendu à 134,4 en 2024. Pour les petits commerces, la boucle devient forcément de plus en plus compliquée à boucler d’autant que les coûts énergétiques ont également bondi depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine et alourdi la facture. Les baisses de rideaux se sont accentuées au point que la décommercialisation du centre-ville est un phénomène avéré. Tout le spectre politique est représenté, du Rassemblement national à la France insoumise, en passant par la Droite républicaine, l’Union centriste et les groupes socialistes. Paradoxalement, il s’avère que ce sont les écologistes les plus discrets sur ce thème.
Les parlementaires impliqués contre la décommercialisation
La bonne nouvelle est que les élus à l’Assemblée nationale et au Sénat s’emparent du sujet même si c’est parfois de l’ordre du micro-sujet territorial ou d’une problématique catégorielle. Depuis le début de l’actuelle législature, 65 amendements ont été déposés dans le cadre de divers textes législatifs et 34 questions ont été posées. Sans surprise, les récipiendaires les plus sollicités sont le ministère de l’Economie et le ministère du Commerce, de l’Artisanat, des PME et de l’ESS. Les thèmes sont variés. Cela va de l’impact du désengagement de la société de livraison Mondial Relay dans les relais colis que les commerçants proposent à l’impact du commerce en ligne sur ces mêmes commerçants, en passant par les fermetures plus fréquentes des maisons de la presse et des salons de coiffure ou même la sanction concernant les boulangers faisant travailler leurs salariés un 1er mai !
Autre observation que souligne la plateforme de veille sociétale Follaw : les questions et les amendements sont issus de toutes les formations politiques et de toutes les régions, y compris d’élus parisiens comme la sénatrice LR, Catherine Dumas, qui interroge sur la baisse préoccupante de boucheries et charcuteries à Paris. Néanmoins, le sujet de la décommercialisation est fortement préempté par le Rassemblement national (24,8 % des interventions), suivi par Ensemble pour la République (18,3 %) et le Parti socialiste (15,6 %). A noter enfin, l’activité importante du lobbying des CCI et des organisations et fédérations professionnelles au nombre de 32 acteurs décomptés.

Des propositions de loi dans le tuyau
Au-delà des débats sur les bancs des assemblées, quatre propositions de loi sont depuis mars et mai 2025 en première lecture à l’Assemblée nationale. Deux d’entre elles portent précisément sur la problématique de la décommercialisation avec le texte porté par Danielle Brulebois (EPR) sur la revitalisation des centres-villes et celui défendu par François Piquemal (LFI) sur la préservation du petit commerce de proximité. Leur future adoption est certes plus incertaine en termes d’agenda du fait de la fragilité du gouvernement actuel.
Toutefois, le rapport d’information déposé le 26 juin par les députés Sandra Marsaud (EPR) et Julien Gokel (PS) sur l’évaluation de l’action du programme Cœur de Ville, maintient la dynamique pour lutter contre la décommercialisation. Lancé en 2018, celui-ci bénéficie aujourd'hui à 243 villes moyennes et a mobilisé 11,5 milliards d'euros à fin 2024 en subventions, prêts et investissements.

Poursuivre le programme Cœur de Ville
Bien que les deux députés indiquent qu'il n'a pas toujours été facile d'évaluer le programme, leurs conclusions indiquent que ce dernier a été un "accélérateur" de nombreux projets et un outil unanimement salué par les élus locaux eux-mêmes. Ils appellent par conséquent à le prolonger au-delà de 2026 en engageant notamment une réflexion sur la place des villes moyennes.
Un motif d’espoir ? L’édition 2025 de l’Observatoire de la Proximité (ObSoCo) parue fin septembre, montre que la fréquentation des commerces de proximité reste malgré tout élevée. Une majorité de Français s’y rend chaque semaine, souvent pour conjuguer commodité et qualité, malgré une offre jugée incomplète, des prix parfois plus élevés, des horaires restreints et une faible présence numérique. Sans oublier des fractures territoriales à combler selon les départements. De quoi nourrir l’activité des parlementaires en vue des prochaines échéances.

