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Étude de l’Europe institutionnelle

Découvrez votre rang dans l'écosystème
Dernier épisode de notre série de webinaires consacrée aux bulles d’influence, cette étude se penche sur la sphère européenne, un univers souvent perçu comme complexe, institutionnel et lointain. Après avoir exploré les bulles politique, médiatique, économique et du lobbying, nous avons voulu comprendre comment se structure et s’exprime le pouvoir d’influence au niveau européen.
Qu’est ce que le Social Impact Score (SIS) ?
Pour le rappeler brièvement, nous avons créé le Social Impact Score, un indicateur qui mesure l’influence d’un individu ou d’une organisation sur une échelle de 0 à 100, à travers cinq écosystèmes : politique, médiatique, économique, lobbying et européen. Ce score permet de comparer concrètement le poids d’un acteur dans chacun de ces univers, à partir de données tangibles issues des réseaux sociaux et des interactions entre communautés.
L’écosystème européen : un espace d’influence institutionnel
Pour analyser la bulle européenne, nous avons constitué un panel d’environ 119 600 acteurs, en nous appuyant sur notre plateforme de veille Follaw.sv.
Cet écosystème comprend :
- les acteurs politiques
- les représentants d’intérêt
- les analystes économiques
- les journalistes et médias spécialisés

Cette cartographie révèle un écosystème très dense, mais également fragmenté, organisé par blocs nationaux et communautés linguistiques, plutôt que par idéologie politique.
Une Europe d’influence encore très cloisonnée
L’analyse des interactions montre une forte centralité de la Belgique, cœur géographique et symbolique de la bulle européenne. La communauté bruxelloise regroupe la majorité des acteurs qui font vivre les institutions, les médias et les lobbies.
Autour d’elle gravitent plusieurs ensembles :
- une communauté euro-atlantique, marquée par la présence américaine ;
- une bulle française, proche de la Belgique mais relativement isolée, avec une sous-communauté d’extrême droite (Le Pen, Orban, Trump, Musk, Farage) ;
- des communautés progressistes et libérales, très connectées à Renew Europe et aux médias pro-européens ;
- un noyau institutionnel constitué de la Commission, du Parlement, de la BCE et d’organisations internationales ;
- enfin, des communautés plus sectorielles comme l’environnement et l’énergie, ainsi que les blocs italien et espagnol.

Globalement, la société civile y est peu visible.
La bulle européenne reste dominée par les institutions et les multinationales, capables de financer des campagnes à grande échelle et d’entretenir une présence continue. Les acteurs citoyens, quant à eux, peinent à émerger à ce niveau.
Les lobbies européens : entre structuration et disparités
Les lobbies européens sont globalement mieux organisés que leurs équivalents nationaux, mais tous les secteurs ne sont pas logés à la même enseigne.

Les plus solides sont ceux de l’agriculture, de la santé et de la technologie, bien connectés aux institutions.
L’énergie constitue un écosystème structuré, souvent lié aux enjeux environnementaux.
À l’inverse, certains secteurs restent faibles ou dispersés :
- la finance et l’assurance manquent de visibilité (Insurance Europe est absente du panel) ;
- le logement et l’immobilier sont très peu représentés ;
- la défense, pourtant stratégique, est encore absorbée par l’aéronautique.
Une lecture par pays montre que les enjeux agricoles sont principalement défendus à l’échelle nationale (FNSEA, Irish Farmers Association).
L’Allemagne domine les questions économiques, tandis que la France reste active mais cloisonnée dans ses frontières linguistiques.

Des réseaux sociaux à l’ancienne
L’écosystème européen demeure très attaché aux plateformes traditionnelles.
Le réseau X (ex-Twitter) est de loin le plus utilisé : il concentre la quasi-totalité des échanges entre décideurs, journalistes et lobbies.
LinkedIn arrive ensuite, privilégié pour les relations professionnelles et institutionnelles.
Instagram, étonnamment, affiche une bonne présence, notamment en raison de l’influence américaine et de son adoption ancienne.

En revanche, les nouvelles plateformes comme Threads, BlueSky ou TikTok sont quasi absentes.
TikTok, en particulier, souffre potentiellement d’une méfiance européenne vis-à-vis de la Chine.
Résultat : un écosystème « à l’ancienne », très peu enclin à expérimenter les nouveaux canaux d’expression.

Les figures les plus influentes
Le classement des personnalités les plus suivies confirme que le pouvoir d’influence reste concentré entre les mains des dirigeants institutionnels.
Les premiers rangs sont occupés par les présidents de la Commission et du Parlement, ainsi que par les commissaires aux portefeuilles économiques.
Parmi les figures les plus influentes :
- Maros Sefcovic, commissaire au commerce et à la sécurité économique ;
- Margrethe Vestager, connue pour ses enquêtes sur les GAFA ;
- Mariya Gabriel, sur les sujets IA et numérique.

Les facteurs d’influence sont clairs : le poste occupé, la visibilité du portefeuille, l’ancienneté et surtout le réseau, à la fois physique et numérique.
Les groupes politiques pro-européens, comme Renew Europe, dominent la bulle. À l’inverse, l’extrême droite, plus eurosceptique, reste marginalisée sur les réseaux européens.
Lobbies, médias et géographie de l’influence
Le top des lobbies les plus visibles est dominé par des think tanks (Bruegel, SEPs, Wilfried Martens Center) et des ONG internationales (dont Greenpeace). Les thématiques de droits humains et d’environnement y sont fortement représentées.

Côté médias, Politico s’impose largement comme la référence, loin devant Contexte, plus centré sur le public francophone. Les médias américains gardent une place prépondérante dans la circulation de l’information européenne.

Géographiquement, le nord de la France ressort comme zone d’influence clé, à la croisée de Bruxelles, Paris et Strasbourg. Les pays fondateurs de l’UE dominent toujours l’espace, tandis que le Royaume-Uni conserve une présence notable. Les États-Unis représentent environ 15 % de la présence totale, loin devant la Chine, la Russie ou l’Inde, dont l’influence officielle reste marginale.

Dirigeants et entreprises : une absence remarquée
L’analyse du SBF 120 dans la bulle européenne met en lumière un constat frappant :
les dirigeants français et européens sont quasiment absents de cet écosystème.
Même le meilleur classé, Alexandre Bompard (Carrefour), n’obtient qu’un score de 2 sur 100.

Ses rares points proviennent essentiellement de sa présence dans la bulle française.
Les CEO européens ne font pas mieux : seuls quelques noms ressortent, comme Ilham Khadri (Solvay), Tim Cook (Apple) et Daniel Ek (Spotify).

Les entreprises les plus influentes sont issues de la tech (YouTube, Google) et de l’énergie.
Globalement, les dirigeants préfèrent laisser les lobbies ou les fédérations professionnelles assurer leur représentation auprès des institutions.
Enseignements
Cette étude dresse le portrait d’une Europe de l’influence encore très institutionnelle, où le dialogue est souvent vertical et où la parole citoyenne peine à émerger.
Des enseignements clés se dégagent :
- Dichotomie entre acteurs nationaux et bulle européenne : L’écosystème européen reste cloisonné, avec des acteurs nationaux cherchant à influencer l’UE sans être intégrés, tandis que la bulle européenne prône un dialogue tout en restant fermée.
- Domination des multinationales et institutions : Contrairement à la France, où les ONGs et la société civile bouleversent les équilibres institutionnels établis (notamment sur Tiktok), l’UE reste dominée par les multinationales et institutions disposant des moyens financiers pour mener des campagnes à grande échelle.
- Secteurs majeurs bien représentés mais déséquilibrés : Les secteurs comme l’agriculture, la santé et la tech sont bien présents, avec des lobbies économiques européens très influents. En revanche, l’industrie et le transport manquent de structuration. Et à l’heure de construire une Europe de la défense, le secteur reste encore englobé dans l’aéronautique.
- Des sujets plus ou moins bien incarnés au niveau national : L’agriculture est dominée par certains pays (France, Irlande), l’Allemagne domine au niveau économique, et les enjeux tech ne sont pas bien défendus par les pays.
- La bulle européenne n’est pas structurée politiquement mais nationalement : difficile d’atteindre la gauche ou la droite via des campagnes numériques, elles sont réparties entre plusieurs communautés (sauf l’extrême droite).
- Réseaux à privilégier : X, Instagram et LinkedIn sont les principaux réseaux, dans un écosystème à l’ancienne où les nouvelles plateformes (TikTok, Bluesky) peinent à émerger.
- Pour être influent l’ancienneté, le portefeuille, et le réseautage physique et numérique sont essentiels (ex : Ryan Heath de Politico).
- Faible influence officielle des pays étrangers : À l’exception des États-Unis, les pays étrangers ont du mal à se rendre visibles auprès de la bulle européenne sur les réseaux sociaux. Leurs tentatives de désinformation peuvent avoir lieu au niveau national, moins européen.
- Les dirigeants ne captent pas l’attention de l’écosystème européen. Cela dit en ont-ils l’ambition et le besoin ? Les composantes ne semblent pas présentes pour mener cette bataille.
En somme, la bulle européenne fonctionne encore « à l’ancienne » : beaucoup d’offline, peu de digital, et une grande prudence dans l’expression publique. Pour exister dans cet espace, il faut du réseau, du temps et des moyens — ou passer par des relais déjà installés : médias, think tanks, ou représentants d’intérêts.
